Les missions des kinésithérapeutes salariés sont variées, autant par leurs lieux d’exercice que par leurs modalités. Parmi ces missions l’une d’elles est questionnée régulièrement à la fois par les kinésithérapeutes eux-mêmes, mais aussi leurs interlocuteurs médicaux, administratifs et les patients : celle de la permanence des soins.
Publié en novembre 2012 | Pierre-Henri Haller, William Sraiki, d’après Kinescope N°12
Les missions des kinésithérapeutes salariés sont variées, autant par leurs lieux d’exercice que par leurs modalités. Parmi ces missions l’une d’elles est questionnée régulièrement à la fois par les kinésithérapeutes eux-mêmes, mais aussi leurs interlocuteurs médicaux, administratifs et les patients : celle de la permanence des soins.Cette permanence interroge à la fois l’utilité des actes de kinésithérapie, l’organisation, la notion de service et l’autonomie-responsabilité des professionnels. A la lumière des témoins interrogés, les permanences relèvent à la fois d’us et coutumes, d’un cadre législatif, d’un management d’équipe qui doit rester pragmatique et en accord avec les valeurs qui dirigent l’intérêt du patient. La notion de permanence liée à la garde ou l’astreinte s’inscrit dans une situation de présence temporelle, voire spatiale liée à certaines compétences spécifiques qui doivent être mises en oeuvre dans certaines situations à risque, notamment dans des délais courts où une intervention précoce d’évaluation et/ou de soins est déterminante.
Le code de la santé publique fait obligation aux établissements publics hospitaliers d’assurer la continuité des soins en toutes circonstances. La continuité est liée à un relais temporel ou spatial des soins lors du parcours du patient entre professionnels et entre secteurs de soins intra ou extra hospitaliers. Il y a donc plusieurs continuités, celle de la coordination entre acteurs de soins, celle de la communication au patient, et celle des interventions des acteurs de soins. Il y a dix ans Philippe Savineau, présentait aux III° JNKS les résultats éloquents d’une enquête sur les gardes : il existait autant de modalités de garde ou d’astreinte que d’établissements, autant de visions de la notion d’urgence, de besoin et de nécessité que d’équipes médicales et de kinésithérapeutes, et autant de compensations en terme de rémunération que de Directions des Ressources Humaines. Le terme même de garde, couramment utilisé, issu du vocabulaire médical, induit une assimilation avec le modèle de la continuité des soins médicaux. Pour les confrères interrogés les mots garde, astreinte, permanence, continuité ont été utilisés témoignant de la multiplicité des usages à ce jour. Comme le note Pierre Maffei les contours et la terminologie sont flous professionnels. Pour lui, une permanence est la possibilité, en tant que soignant, d’être joint en cas de nécessité et non d’urgence.
La parution du décret n° 2002-466 du 5 avril 2002 qui impose aux établissements de rendre disponible un kinésithérapeute formé pour les réanimations et les soins intensifs, compte tenu de leur spécificité. Pour Pierre Maffei, cette disponibilité, cette formation, et cette idée de permanence s’est imposée sans questionner le comment – ressources humaines – ou le pourquoi – missions – et la notion d’urgence – indications. Le kinésithérapeute doit pouvoir intervenir sur tout type de patient si cette intervention peut être bénéfique, mais les critères sont encore à définir. En pratique, ce décret a été pour lui l’occasion d’expliciter, en tant qu’ancien kinésithérapeute exerçant en réanimation, l’intérêt des actes de rééducation réalisés en garde hors des secteurs de réanimation, où la surveillance est continue, les infirmiers ou les médecins sont disponibles et experts pour des gestes d’urgence qui désencombrent le patient (aspiration, fibroscopie, ventilation non invasive). Pour Pierre Maffei, une coopération inter professionnelle nécessite de définir ce sur quoi il y a coopération continuité : le désencombrement rhino-pharyngé, l’aspiration nasotrachéale… et définir les soins spécifiques : AFE.
Ainsi les situations de permanence où certaines compétences spécifiques qui doivent être mises en oeuvre dans certaines situations à risque semblent limitées à trois cas qui bien souvent guident le choix des patients amenés à être vus lors de gardes hospitalières : l’encombrement respiratoire majeur (adulte ou nourrisson), l’arthrolyse et libération articulaire chirurgicale, la mobilisation voire posture du pied bot varus équin dans les 24/48 heures de la naissance, auxquelles nous pouvons ajouter les mobilisations ou postures des patients brûlés.
Tous estiment que les kinésithérapeutes restent les mieux placés pour évaluer leur utilité. Le bon sens clinique permet de juger de l’efficacité, voire de l’effet délétère. La nécessité d’intervention, est évaluée par celui qui a rééduqué le patient au quotidien. Cette transmission écrite et orale entre kinésithérapeutes relève de l’autonomie et de la responsabilité professionnelle. Chacun dans l’équipe est sensibilisé à la charge de travail en garde, donc c’est discriminant pour mettre « à la garde » les patients qui en tireront le meilleur bénéfice. L’adaptation et la négociation des praticiens s’observent dans le discernement entre le bien fondé des actes et les réalités de terrain. L’appel injustifié crée une frustration et dilue la disponibilité du praticien, jusqu’à aller vers la perte de chance des patients qui en auraient besoin. Pierre Maffei rappelle que le bilan diagnostic nous permet d’argumenter et d’expliquer les indications et les adaptations techniques. Il préfèrerait être sollicité pour donner son avis et expliquer sa décision de soins pour promouvoir l’autonomie-responsabilité. Etre ingénieur et non simple exécutant. Pour Philippe Savineau, lorsqu’il y a une confiance médicale, il convient de l’entretenir. Entre le vendredi après midi dernière séance et le lundi matin, il peut s’écouler presque 72h… C’est un cercle vertueux, être bien considéré, ne pas décevoir, du coup les professionnels s’investissent. L’équipe a confiance en elle et se sent utile. Le consensus s’observe lors des transmissions entre kinésithérapeutes.
En termes d’organisation tous les cadres interrogés ont pensé et régulé leurs modalités d’appel et de transmission, en restant vigilants sur les dérives. Actuellement, les ressources humaines des kinésithérapeutes sont rarement suffisantes pour réaliser des permanences qui dépassent la présence en journée, voire en matinée. Catherine Berruet rappelle que les récupérations des cumuls d’heures en semaine pèsent sur le reste de l’équipe. Rémunérer les gardes en heures supplémentaires évite pour Ph. Savineau, des « semaines gruyère » de récupération qui mécontentent mais aussi constituent un moyen non négligeable d’arrondir ses fins de mois lorsque l’on est kinésithérapeute et permet d’attirer et de fidéliser en ces périodes difficiles. Un kinésithérapeute à temps partiel en effectuant une garde mensuelle, compense en partie sa perte de salaire et maintient sa qualité et son niveau de vie.
Accepter d’être le seul interlocuteur de la rééducation un jour donné et être disponible pour le patient relève du sérieux des professionnels. Même si les gardes sont contraignantes, l’éthique professionnelle et l’impact de l’absence de soins, « imposent d’y aller ». Témoins de l’engagement de leurs équipes, tous reconnaissent, pour autant, que peu de kinésithérapeutes aiment faire des gardes. Les gardes sont vécues comme des contraintes, pour la vie familiale. Le rythme est très soutenu, il y a le stress et la solitude. Seuls face aux choix, aux exigences médicales, qui nécessitent parfois un positionnement, un argumentaire. Pendant la garde le masseur kinésithérapeute peut avoir peur de « mal faire » ; il a peur de l’inconnu.
Le résultat d’une communication, disponibilité et collaboration, c’est une confiance, une écoute, un respect mutuel qui évite de faire perdre du temps, tente d’éviter la perte de chance et qui renforce le sentiment d’utilité professionnelle. Pour conclure C. Berruet inscrit la continuité au service du patient dans un sens donné aux pratiques en explicitant ses valeurs qui rappellent notre devoir, notre empathie face à l’humain qui pourrait être nous demain. C’est une exigence éthique qui évite les négligences.
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